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SITE INTERNET POUR LES DROITS DE L'HOMME
25 octobre 2009

HOMELIE:PRENDS PITIE

l'homélie du curé

Prends pitié
30ème Dimanche du Temps Ordinaire - Année B
25 octobre 2009
Mc 10, 46-52


       Le Père Christian Lancrey-Javal, curé de la paroisse de Saint Louis d'Antin

Est-ce qu’on peut pardonner à un mort ?

La question m’a été posée cet été par une jeune femme : son frère a été tué, il y a douze ans, un 15 août, sur la route par un chauffard. Lequel est également mort dans l’accident. Ce chauffard avait bu, il doublait dans un tournant, à l’aveugle, et en face il y avait le frère et sa compagne sur une moto. Trois morts.

La vie de cette femme qui me parlait s’était arrêtée avec celle de son frère, et elle pense au meurtrier, n’arrivant pas à lui pardonner. Il est plus difficile de pardonner à celui qui a fait du mal à quelqu’un qu’on aime, davantage parfois qu’à celui qui nous a offensé directement.

Cette femme souffrait. Vous devinez ce que les gens pensent et disent autour d’elle : il faut passer à autre chose. Pense à autre chose. Autrement dit, ne viens pas nous embêter avec ta souffrance. C’est un peu ce qui se passe dans l’évangile lorsque les gens cherchent à faire taire cet aveugle qui crie : tu nous déranges.

L’Esprit-Saint m’a dit d’évoquer avec elle, d’interroger cette femme sur les parents du chauffard : la mère dont le fils était mort et qui était un meurtrier. Vous n’élevez pas un enfant pour qu’il soit un meurtrier.

Nous sommes moins seuls que nous ne le pensons dans la souffrance et le malheur. Entre les familles des victimes, et celles de leurs bourreaux s’établit comme une continuité spirituelle. Celles des bourreaux sont plongées dans le malheur et la honte.

Cette continuité spirituelle s’établit de façon très particulière dans l’Eglise. Car, pour tous les drames de l’existence, nous avons un lieu de vie qui est l’Eglise. Ce qui rend d’autant plus effrayants les crimes commis en son sein. Mais pour tous les drames de la vie, les drames de la route, de l’inconscience, de la solitude, de la violence ordinaire, nous avons un lieu de vie qui est l’Eglise : un lieu de prière et de conversion, un lieu de réconciliation, de justice et de paix.

J’ai invité cette jeune femme, dont le frère était mort un 15 août il y a douze ans, à passer le relais à la Vierge Marie. « Le 15 août prochain, vous demanderez à la Vierge Marie, cette grâce particulière, qu’elle vous délivre de ce deuil ».

Peut-être que Marie, dans son existence terrestre après Pâques, a croisé la famille de Judas, les parents ou les frères de Judas. La famille du traître : vous imaginez l’opprobre ? Le traître était mort – leur fils ou leur frère était mort, et ils n’avaient plus que la honte.

Dans ces situations-là, il n’est pas question de pardon, mais de compassion. « Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! ».

J’ai vu à la télévision les images d’un procès d’un accident de la route. Qui n’avait rien d’accidentel compte tenu de l’alcoolémie du chauffard. D’un côté les familles des victimes, en larmes, de l’autre côté, un jeune homme au visage ‘flouté’ pour préserver son anonymat. Au moins, celui-là avait pris conscience. Et, face à la caméra, doutant de pouvoir le faire à l’audience, il demandait pardon. Le spectateur, pris à témoin malgré lui, pouvait être tenté de rechigner : « il fallait y penser avant, mon gars. C’est un peu tard ».

Et puis, vous pouvez imaginer la même scène, sauf que le chauffard, comme cela arrive également, ait été lui-même brisé physiquement dans l’accident qu’il a provoqué. Il n’est pas en prison parce qu’il est désormais tétraplégique, paralysé à vie, coupable et détruit. Il peut certes demander pardon. Est-ce cela que l’on attend ? N’est-ce pas plutôt qu’il demande pitié ?

Diriez-vous qu’il a reçu son châtiment ?

Il est difficile d’y répondre et difficile d’en parler parce que beaucoup de sentiments viennent ici se mêler : le fait est que ce qui nous retient de pardonner est la crainte que cela puisse recommencer. Et nous-mêmes d’ailleurs, nous pouvons avoir cette réticence quand nous allons nous confesser, qui tient à la forte probabilité que cela recommence.

Or, nous ne pouvons entrer dans une démarche de pardon que si nous commençons par entrer dans une démarche de compassion, de tendresse et d’imploration.

Seigneur, prends pitié.

Nous ne comprenons pas la Miséricorde de Dieu parce que nous ignorons à quel point Dieu a pitié. Dieu de tendresse et de pitié, Dieu de miséricorde et de fidélité. Dieu a pitié parce que nul n’est puissant à ses yeux : nous n’avons pas pitié parce que nous avons peur, parce que nous avons envie, parce que nous sommes impressionnés, bousculés intérieurement par nos sentiments, dans une relation d’infériorité, et de rivalité.

Dieu a pitié des puissants de ce monde.
D’ailleurs, quand vous les fréquentez, et je vous parle d’expérience, vous comprenez pourquoi, au vu de tant de misère cachée derrière des apparences de façade : il suffit de gratter la surface. Voilà ce que Benoît XVI a dit à Prague en célébrant une messe en l’honneur de saint Venceslas, le Prince des Tchèques, un vrai prince celui-là : Benoît XVI a rappelé que « le siècle passé a vu tomber de nombreux puissants, qui paraissaient arrivés à des hauteurs presque inaccessibles. Á l'improviste, ils se sont retrouvés privés de leur pouvoir. Celui qui a nié et continue à nier Dieu et, en conséquence, ne respecte pas l'homme, semble avoir une vie facile et accéder au succès matériel. Mais il suffit de gratter la surface pour constater que, dans ces personnes, il y a de la tristesse et de l'insatisfaction ». Il suffit de gratter la surface.

Les Psaumes s’amusent de cette illusion de puissance terrestre, comme le Psaume 51 qui commence ainsi : « Pourquoi te glorifier du mal, toi l’homme fort ? », ou bien le Psaume 36 : « Ne t’indigne pas à la vue des méchants, n’envie pas les gens malhonnêtes : aussi vite que l’herbe, ils se fanent ; comme la verdure, ils se flétrissent ».

Pour comprendre la Miséricorde de Dieu, il faut comprendre que Dieu a pitié de l’homme fort,de l’homme qui se croit fort. Il a pitié de tout homme, faible ou fort, à qui il ne demande pas autre chose que de se laisser aimer, se laisser guérir, se laisser convertir.

A cet égard, la scène de l’évangile avec Bartimée ressemble à une scène de confession.

Un pauvre type est assis au bord de la route : ça s’appelle la contrition. Il n’attend pas comme dans l’allée de cette église de pouvoir se confesser : il a le sentiment (fondé) de ne pas faire partie ici du cortège. Dans le péché, on s’exclut soi-même. Ce n’est pas Dieu qui nous rejette, c’est nous qui nous arrêtons, qui nous éloignons, qui sommes tentés d’abandonner : assis au bord de la route. Le problème aujourd’hui tient au nombre de personnes assises au bord de la route. Ils se sont arrêtés à cause du mensonge, de ce qu’on leur a dit de Dieu. D’où l’importance de la Mission.

Poursuivons la similitude, entre Bartimée et la confession. Laissons les cris et les désordres du monde : ce qui est important, c’est l’appel. Appelez-le. Il est essentiel au pardon. « Je n’ai pas envie de pardonner », dit-on parfois. La formulation exacte est en fait : « je n’ai pas envie de répondre à cet appel à pardonner, cet appel intérieur, puissant, inexorable. Cette voix de la conscience qui me dit : pardonne-lui ». N’étouffez pas cela : écoutez cette voix.

3ème similitude, dans le bondissement de l’homme : tout monde ne bondit pas de joie ni dans ni hors du confessionnal, mais de toute démarche de pardon, on sort grandi. Pourquoi pardonner alors que l’autre va peut-être recommencer ? Parce que seule la confiance peut le transformer. Chaque fois que quelqu’un me pardonne, non seulement il me restaure dans ma dignité que j’avais moi-même dégradée, mais il m’en donne une plus grande, il me fait grandir par sa confiance : « confiance, lève-toi ». Et dans le sacrement, la grâce du pardon agit toujours comme une force nouvelle, qui relève et élève.

Enfin, 4ème remarque : l’homme, appelé, relevé, vient et il voit. Il a répondu à l’appel du Seigneur, comme les disciples au début de l’évangile selon saint Jean : venez et voyez. Mais que voit-il – ou plutôt que va-t-il voir ?

Il va voir la Passion de Jésus. Il va voir ce qu’il y a de plus terrible et de plus beau dans l’histoire du monde. Chez Marc, de façon encore plus évidente que chez Matthieu et Luc, la guérison de Bartimée vient clore le ministère de Jésus : c’est la dernière scène avant les Rameaux, avant la Semaine sainte. Bartimée n’est pas guéri par le Christ pour se re-fondre dans la masse : il est guéri, comme nous de nos aveuglements, pour pouvoir contempler le mystère de la Passion, de la mort et de la Résurrection du Christ. C’est dans son sang que nous sommes pardonnés.

Bartimée, l’ancien aveugle, a vu la Croix. Comme nous la voyons. Regardez la Croix : quel sentiment éprouvez-vous ? Pour qui éprouvez-vous tendresse et compassion ?

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