EXPOSITION PARIS/ORSAY: "CRIME ET CHATIMENT" par Robert Badinter
Art, crime et châtiment au Musée d'Orsay
Vidéo: L'ancien garde des sceaux reste fidèle à son combat...
La guillotine, de l'abolition à l'exposition
"La guillotine, transformée en objet de musée ! On ne peut pas rêver un symbole plus éclatant de l'abolition de la peine de mort", a déclaré Robert Badinter à l'AFP. Défenseur de Roger Bontems, l'avocat a accompagné à la guillotine cet homme de 27 ans le 28 novembre 1972 à la prison de la Santé. "Jusque-là, j'avais été un partisan de l'abolition. Dorénavant, j'étais un adversaire irréductible de la peine de mort", a-t-il raconté dans son livre L'abolition (Fayard). Une abolition pour laquelle il s'est battu et qu'il a obtenue en septembre 1981. "C'est cette guillotine-là que je voulais retrouver" pour l'exposition, explique-t-il.
Celle qui est exposé est celle qui a été utilisé jusqu'en 1977. Elle est "recouverte d'un voile noir, comme pendant la Terreur, où on la laissait sur la place de la Révolution, la place de la Concorde actuelle", indique Robert Badinter. "Nous avons débattu sur l'opportunité de l'exposer. Il est apparu que la guillotine obsède la période couverte par l'exposition (1789 à 1939). Elle est partout, dans les romans, les oeuvres littéraires, chez les peintres et les feuilletonnistes", dit-il.
Robert Badinter et Jean Clair ont dû jouer les limiers pour retrouver la Veuve, surnom donné à la guillotine. "Après l'abolition de la peine de mort, en 1981, je ne voulais pas que la guillotine se perde. Elle appartient à l'histoire de la justice", souligne l'ancien ministre de la Justice.
"J'ai écrit à Jacques Chirac, alors maire de Paris, pour lui dire que je souhaitais que la guillotine soit conservée dans un musée parisien. J'ai ajouté qu'elle ne devait pas être montrée avant 25 ans, le temps que les passions s'apaisent", raconte-t-il. "Les 25 ans sont écoulés et avec Jean Clair, nous avons eu beaucoup de mal à la retrouver", dit l'ancien ministre.
"Le musée Carnavalet n'en avait pas voulu car il s'agissait d'une guillotine contemporaine et qu'il ne prenait que les guillotines révolutionnaires. La direction des musées l'avait alors donnée au musée des Arts et traditions populaires. Elle était démontée, dans des caisses conservées dans la cave. Puis il s'est avéré que le musée était amianté. Il a fallu le fermer et ses collections ont été dispersées. On ne savait plus où était la guillotine", raconte Robert Badinter.
"L'administration pénitentiaire m'a appelé un jour pour me dire qu'on l'avait retrouvée au musée pénitentiaire de Fontainebleau. Nous y sommes allés avec Jean Clair mais c'était celle du bagne de Cayenne et celle de la Réunion", dit-il. "Celle que je connaissais avait été envoyée au musée de la Renaissance d'Ecouen qui, à juste titre, n'en avait pas voulu. L'armée, obligeante, l'a alors mise dans une casemate au Fort d'Ecouen", raconte-t-il.
"Quand je l'avais vue à la prison de la Santé en 1972, j'avais été surpris par sa dimension, par ses grands bras maigres dressés. Elle était comme une de ces vieilles idoles devant lesquelles on procède à des sacrifices humains", poursuit-il. "Mais tout cela, c'est de l'histoire", conclut l'ancien ministre.
Art, crime et châtiment au Musée d'Orsay
Par Valérie ODDOS
Théodore Géricault, Étude de pieds et de mains, 1818-1819, Montpellier, Musée Fabre
© Musée Fabre de Montpellier Agglomération photo Frédéric Jaulmes
Avec la guillotine en vedette, le Musée d'Orsay à Paris explore le regard des artistes sur le crime (jusqu'au 27 juin)
L'exposition était une idée de Robert Badinter, ancien garde des Sceaux à l'initiative de l'abolition de la peine de mort.
Elle explore l'image du crime, de 1789 à 1939, à travers 475 oeuvres et pièces, toiles et gravures figurant le crime et sa punition, et aussi la guillotine voilée de noir, ou des moulages de têtes de criminels.
Vidéo
Crime et Châtiment au musée d'Orsay
L'exposition s'ouvre sur les crimes originels qui marquent l'imaginaire occidental. Le parricide avec Oedipe, ou le fratricide de Caïn, représenté par Alexandre Falguière, Gustave Moreau, ou George Grosz sous les traits d'Hitler.
"Pourquoi est-ce que l'homme tue? Quelle est cette justice qui pendant si longtemps a elle-même tué l'homme? Je me suis dit que l'art me permettrait d'avancer dans ma connaissance" du crime et de ses châtiments, a expliqué à la presse Robert Badinter qui a fait voter l'abolition de la peine de mort en septembre 1981. "J'ai découvert que ce qui intéresse l'artiste, c'est la violation des interdits fondamentaux, le sacrilège, le sexe, la mort", a-t-il ajouté.
Très vite, on tombe sur la guillotine. "On peut avoir une certaine indifférence sur la peine de mort, ne point se prononcer, dire oui ou non, tant qu'on n'a pas vu de ses yeux une guillotine", écrivait Victor Hugo. En effet, la vue de cette machine à tuer, voilée de noir, à côté du panier qui recueillait le cords du condamné, est glaçante. Autre objet choc, la porte des condamnés à mort, prêtée par le musée pénitentiaire de Fontainebleau. Sur le bois, les prisonniers qui attendaient d'être exécutés ont gravé au couteau de pauvres inscriptions "adieux Frisette'", "pas de chance". Avec des dates. 1899, 1911...
"L'abolition de la peine de mort a constitué le socle fondamental à partir duquel nous sommes partis", explique le commissaire de l'exposition Jean Clair. L'exécution capitale, et en particulier la guillotine, a fasciné. Ses représentations sont nombreuses au moment de la Révolution française, et l'image violente de la tête coupée est récurrente. Alexandre Dumas raconte qu'il a vu "des criminels décapités par le bourreau se lever sans tête". Samson, bourreau de Paris, évoque l'oeil d'un supplicié qui se rouvre.
Très tôt, la peine capitale a eu des opposants: déjà, en 1791, Le Peletier de Saint-Fargeau plaide pour son abolition, en vain. L'idée court tout le long de l'exposition. Goya, par exemple, intitule une petite gravure figurant un supplicié: "la sûreté est aussi barbare que le crime".
A côté des décapités, Goya et Velasquez figurent un garrotté, Warhol la chaise électrique, Rouault ou Géricault des pendus.
Les artistes sont aussi frappés par les criminels: figures de brigands, de femmes fatales, de sorcières ou d'"apaches".
La presse à grand tirage se repaît de faits divers sanglants et en offre des illustrations spectaculaires. Orsay montre une série de unes du Petit journal, pleine page, montrant des crimes atroces, de l'enfanticide au criminel brûlant sa victime ("scène reconstitutée selon les aveux de l'assassin", dit la légende).
A la fin du XIXe siècle, la criminologie devient une science. On explique le crime par des caractéristiques physiques, on étudie la physionomie des criminels, on moule les têtes d'assassins et on établit des têtes caractéristiques de voleur, de meurtrier ou de violeur. Pionnier du fichage anthropométrique, Alphonse Bertillon fait entrer la criminologie scientifique à la préfecture de Paris: il fait prendre en photo la scène des crimes et photographie les criminels de face et de profil. On peut voir à Orsay un album des étrangers expulsés de France, avec photos des intéressés, datant de cette époque.
Quand Robert Badinter, qui pensait à cette exposition depuis dix ans, l'a proposée au musée d'Orsay, avec l'académicien Jean Clair, il n'a pas fallu "cinq minutes" pour qu'elle soit acceptée par Guy Cocheval, le président du musée, relate Jean Clair. Elle a ensuite été montée très vite: 475 pièces ont été réunies en un temps record.
Crime et châtiment, Musée d'Orsay, 1 rue de la Légion d'Honneur, 75007 Paris
Tous les jours sauf lundi, 9h30-18h, le jeudi jusqu'à 21h45
Tarifs: 9,5€ / 7€
jusqu'au 27 juin
Le site du Musée d'Orsay
Images de l'exposition: voir notre diaporama
Robert Badinter, à Chisinau, Moldavie, en visite des pénitentiaires moldaves, invité par l'UNICEF. 16 avril 2010/AP Photo/John McConnico
Robert Badinter écrit un opéra sur le sort d'un condamné à mort
Robert Badinter semble ne devoir jamais arrêter son combat contre la peine de mort. Près de trente ans après l’avoir fait abolir, l'ancien garde des Sceaux prépare le livret d'un opéra inspiré du sort du condamné à mort évoqué par Victor Hugo dans sa nouvelle Claude Gueux, rapporte l’AFP. Le compositeur Thierry Escaich en signera la musique.
Victor Hugo avait un peu la même obsession que Badinter: expliquer la gravité et le mal que représentait la peine de mort. Dans Claude Gueux, Hugo mettait en scène un homme qui, après avoir volé pour survivre, est incarcéré à Clairvaux, tue le directeur de la maison centrale puis est condamné à mort. Il avait aussi écrit Le Dernier Jour du condamné - titre explicite- dont Badinter pourrait aussi se servir pour son livret, qui sera créé «début 2013» à l'Opéra de Lyon.
L’ancien ministre de la justice est par ailleurs à l’origine de l’exposition Crime et Châtiment qui se tient au musée d’Orsay jusqu’en juin 2011.
Avec agences