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6 avril 2010

CINEMA:LIGNES DE FRONT/KIGALI,DES IMAGES CONTRE UN MASSACRE DE JEAN CHRISTOPHE KLOTZ

Alors que le mercredi 07 Avril marque la journée Internationale de réflexion sur le génocide de 1994 au Rwanda et  quatre ans après le très réussi documentaire Kigali, des images contre un massacre(voir plus bas ), l’ancien reporter Jean-Christophe Klotz passe à la fiction mais garde le même sujet. Celui de son expérience au Rwanda, il y a seize ans, alors que débutait le génocide des Tutsi. Entre réflexion sur le rôle des médias et évolution d’un homme devant l’innommable, Lignes de front fuit la reconstitution peu signifiante au profit de la captation d’un ressenti indicible.

Kigali, des images contre un massacre, est l’histoire d’une trajectoire : celle d’un journaliste, impuissant à stopper le massacre, et celle d’un homme, que la proximité avec le mal absolu a transformé. Imbriquant le passé et le présent, la douleur des absences et la difficulté d’avoir survécu, son film interroge les limites du « quatrième pouvoir » et dit tout de l’impossible retour en arrière.

kigali_images_massacre

En 1994, Jean-Christophe Klotz a déjà derrière lui une belle carrière de journaliste cameraman. Avec l’agence Capa, il réalise des reportages pour des émissions sur l’actualité, notamment pour Canal +. Au mois d’avril de cette même année, après le décès du président rwandais Juvénal Habyarimana, tué dans l’explosion de son avion (on ne sait toujours pas qui est à l’origine de l’attentat), commence ce qui deviendra l’un des plus grands génocides du 20ème siècle : le massacre systématique et organisé, par les milices extrémistes hutus (les interahamwe) et par l’armée rwandaise, de plus de 800 000 Tutsis du Rwanda. Les Français expatriés sont alors rapatriés, et Jean-Christophe Klotz envoyé sur place pour filmer leur retour, pour l’émission 24 heures, sur Canal +. Là, l’évidence de l’horreur lui saute aux yeux : si personne ne bouge, il va y avoir un génocide. À l’époque, la presse est absente, personne ne parle du génocide en marche... Pour l’opinion publique, il s’agit, une fois de plus, d’une guerre interethnique, qui plus est en Afrique, qui plus est au Rwanda, pays grand comme deux départements français, au cœur de la région des grands lacs, à la frontière de la République démocratique du Congo, de l’Ouganda, de la Tanzanie et du Burundi. Qui sait où le situer sur une carte ?

KKKKK

Mais l’histoire de quelques Français qui n’ont pas voulu rentrer au pays intéresse l’émission Envoyé spécial, et Jean-Christophe Klotz repart pour le pays des mille collines, aux côtés de Bernard Kouchner, qui tente alors une médiation entre le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame (l’actuel président du Rwanda), et le gouvernement hutu de transition. Il se retrouve alors dans la paroisse d’un Français, le père Blanchard, à Kigali, dans le quartier de Nyamirambo, au milieu de centaines de réfugiés tutsis qui tentent d’échapper aux bourreaux. Grièvement blessé à la hanche, le cameraman est rapatrié à Paris, mi-juin 94. C’est là qu’il apprend que tous les Tutsis de la paroisse ont été tués. Cloué sur son lit d’hôpital, regardant la télévision, il regarde défiler ses images, celles de visages d’enfants, vivants. Sauf qu’à présent, elles sont utilisées pour annoncer, froidement, la mort de ces enfants. Deux jours après la diffusion de ses images, le gouvernement français lance, à grand fracas, l’opération Turquoise, destinée à stopper les massacres et à assurer la sécurité des vivants. Sauf que le génocide est terminé.

Dix ans plus tard, Jean-Christophe Klotz retourne à Kigali. Dans sa besace, quelques images qu’il a filmées en 1994, qu’il veut montrer aux survivants qu’il espère retrouver. Dans cette « chronique d’un retour à Kigali », Klotz n’est plus journaliste. Il est juste un humain totalement transformé et bouleversé par ce qu’il a vécu. Montrant tour à tour des images de 1994 et des images du Rwanda d’aujourd’hui, Kigali, des images contre un massacre interroge remarquablement les limites du pouvoir de l’image : une image sert-elle une cause ? Le journaliste peut-il contribuer à faire changer le cours des choses ? Où commence le voyeurisme ? Quoi filmer ?

Le film de Klotz tient à la fois du documentaire, ponctué d’interviews - glaçantes - des acteurs de l’époque (le général Roméo Dallaire, alors chef de la mission de l’Onu au Rwanda, Kouchner...) et du récit à la première personne d’un parcours désenchanté. Le rythme impulsé par l’alternance de ces « genres » contribue à raconter une histoire, au-delà de l’information journalistique. Servi par une musique sobre et étrangement belle, que le réalisateur a lui-même composée, le film avance pas à pas dans la recherche des survivants. Pudiquement, les images s’arrêtent sur les visages des rescapés acceptant de témoigner de leur passé.

La réussite de ce film bouleversant tient tout autant de la qualité de l’information sur un génocide encore malheureusement méconnu, voire ignoré, que de la sincérité, et, quelque part, de la détresse sans appel, d’un homme démuni face à l’horreur. « Avoir vu de mes yeux des squelettes de nourrissons coupés en deux, avoir marché sur des restes humains avec comme forme d’excuse la caméra rivée là, sur mon épaule, avoir envisagé de me cacher au milieu de cadavres sont des expériences qui ont provoqué en moi une onde de choc qui poursuivra sa course encore de longues années », dit Jean-Christophe Klotz. Il travaille actuellement à un projet de fiction autour de ce qu’il a vécu au Rwanda.

Kigali_Des_Images_Contre_Un

L’onde de choc, aujourd’hui, se lit au quotidien dans un pays où les rescapés du génocide sont contraints de refaire leur vie aux côtés de leurs bourreaux. Contre l’oubli et le négationnisme, Kigali des images contre un massacre devrait être montré dans tous les lycées de France.

Sarah Elkaïm

http://www.critikat.com/Kigali-des-images-contre-un.html

voir également le dossier de l'INA et l'interview de Jean Christophe Klotz sur :

http://www.ina.fr/art-et-culture/cinema/dossier/1664/jean-christophe-klotz-interview.20090331.fr.html

Un mot sur le réalisateur:

Jean Christophe Klotz
Né le 14 avril 1962 à Washington DC (USA).

Réalisateur, Directeur de la photo, Auteur compositeur, il est diplômé du Centre de Formation des Journalistes (CFJ - section reporter) et licencié en Sciences économiques et en Sciences de l'information et de la communication. Reporter de guerre, il a réalisé de nombreux documentaires et reportages pour la télévision. Kigali, des images contre un massacre est son premier documentaire destiné au grand écran.
En 2006, il se lance dans la préparation de son premier long métrage de fiction : LIGNES DE FRONT (2009 - 35 mm - Color - 95min), sélectionné au festival de Locarno 2009 (Suisse).
LE FILM:
En avril 1994, Jean-Christophe Klotz, reporter pour la télévision française, se trouve au Rwanda. C’est l’époque de l’opération Amaryllis, intervention de l’armée française pour évacuer ses ressortissants après l’attentat contre le président Juvénal Habyarimana. L’époque, surtout, du début du génocide des Tutsi du Rwanda, qui fera entre 800 000 et 1 million de morts en trois mois. Un génocide qui sera totalement ignoré, au moment de son déroulement, de la communauté internationale. Le reporter, lui, comprend dès le départ qu’il ne s’agit pas de nouveaux « affrontements interethniques », selon l’expression en vigueur dès que la violence surgit sur le continent africain, mais bien d’une extermination volontaire, ourdie par les tenants du Hutu Power, d’une partie de la population. Un génocide. Auteur en 2006 du troublant documentaire Kigali, des images contre un massacre, qui interrogeait le rôle des médias, et sa propre impuissance à changer le cours de choses, Jean-Christophe Klotz (voir son interview) avait parallèlement le désir de revenir sur les lieux pour un long-métrage de fiction. Lignes de front se voit comme la continuité, non seulement de son documentaire, mais aussi des reportages qu’il livra alors à la télévision.
Jalil Lespert endosse le rôle tenu dans la réalité, seize ans plus tôt, par le réalisateur, en prenant les trait d’un journaliste indépendant nommé Antoine Rives. Filmant le retour des rapatriés du Rwanda, il fait la rencontre de Clément, jeune Hutu étudiant en France, dont la fiancée Alice, tutsi, a disparu. Antoine convainc Clément de faire le voyage retour au Rwanda, et de le laisser filmer sa recherche d’Alice. Très vite, au milieu de l’horreur dans laquelle les deux hommes se trouvent plongés, en même temps que se transforme leur relation, c’est la relation d’Antoine à son métier qui s’en trouve bouleversée. Klotz filme cette transformation comme une épreuve, qu’il choisi délibérément de montrer du point de vue du journaliste, en recréant à l’écran une ambiance de terreur que le spectateur reçoit quasi physiquement. Un parti pris qui va de pair avec le choix de ne pas montrer d’images de massacres, comme un aveu d’humilité. Klotz raconte son histoire, son vécu, sans prétendre recréer artificiellement le génocide. Comme un écho à ses illusions perdues sur son métier de journaliste, son film devient, aussi, le réceptacle d’un nouveau regard.
Les morts, pourtant, sont bien présents. Hormis quelques images de corps, qui s’inscrivent toujours dans des scènes où Antoine filme, ou tente de continuer de filmer, parce qu’il est « envoyé spécial », c’est le texte qui vient recréer l’œuvre mortelle. Lignes de front est rythmé par de simples panneaux, marqués d’une écriture, blanc sur noir, déroulant la durée du génocide au gré du nombre de tués. Les massacres restent en hors champ. L’esthétique du film, comme le scénario, est entièrement tournée vers la captation du ressenti d’Antoine : couleurs, costumes, pesanteur… tout l’environnement des personnages semblent tout droit sorti des souvenirs d’Antoine / Klotz. Le montage, qui alterne images du film lui-même et « film dans le film » lorsqu’il se tourne dans l’œil de la caméra d’Antoine, dans un va-et-vient entre couleurs et noir et blanc, réalité brute et filtre de l’objectif, va dans la même direction.
Petit à petit, l’objectif, tout comme Antoine, baisse la garde. Avec cette transformation, Jalil Lespert, livre une interprétation forte, émouvante, intelligente, avec un visage qui traduit l’enfermement, puis l’émotion qui déborde. A la transformation d’Antoine répond l’évolution de la relation avec Clément. Avec le jeune Rwandais, le reporter franchit la frontière, celle où il est forcé d’abandonner son rôle de journaliste. Un humain mis à nu par l’Histoire .
Sarah Elkaïm
INTERVIEW :
Jean Christophe Klotz
Seize ans après avoir couvert – ou tenté de couvrir – le génocide des Tutsi du Rwanda pour la télévision française, Jean-Christophe Klotz transpose son expérience au cinéma. A l’occasion de la sortie de Lignes de front, quatre ans après Kigali, des images contre un massacre, le réalisateur revient sur la façon dont ses deux films se complètent, sur sa recherche formelle et sur la réflexion qu’il poursuit autour du pouvoir de l’image.
Comment s’est déroulée l’écriture du scénario de Lignes de front ? Comment avez-vous trouvé le « bon dosage » entre fiction et réalité ?
Le film est inspiré de mon expérience, je dis bien de mon expérience et pas de l’anecdotique, de ce que j’ai ressenti, et de ce que ces sensations ont suscité comme réflexion. L’écriture s’est évidemment appuyée sur des choses réelles, mais j’ai fini par abandonner le côté « c’est comme ça que ça s’est passé ». Il m’a fallu deux ans pour trouver « le pourcentage de réel » que j’allais conserver. J’ai puisé dans des souvenirs, mais le résultat final n’accorde pas d’importance à l’aspect documentaire. Ce qui est important, c’est le questionnement que cette histoire soulève. Bien sûr, le fait que je connaisse bien les lieux, les gens, donne une crédibilité à l’histoire que je raconte. Beaucoup de spectateurs me disent d’ailleurs qu’ils ont « l’impression d’y être », alors que paradoxalement il y a peu d’« effets » de mise en scène...
D’où vient le personnage de Clément, cet étudiant hutu en France qui retourne au Rwanda à la recherche de sa fiancée tutsi ?
Vers 1998, j’avais lu un article sur cette histoire, qui est véridique, et je voulais en faire un film. Cet homme avait réussi à ramener sa fiancée en France, en Bourgogne. Entre temps, il est mort mais j’ai pu rencontrer la jeune femme qui m’a raconté leur histoire. Ce qui m’intéressait dans ce personnage, c’était le chemin inverse qu’il effectuait, inverse à sa famille, inverse à celui de l’exode… Il allait à la source. Il y a un côté « saumon qui remonte la rivière », je trouvais ça très beau, presque antique. J’étais vraiment parti pour écrire cette histoire-là. Mais au moment de l’écriture, il y avait toujours un personnage qui voulait rentrer dans l’histoire, un blanc, un journaliste, qui prenait énormément de place. Je me suis demandé ce que j’allais faire de lui, qu’est-ce que je voulais vraiment raconter, et j’ai compris que j’avais besoin de raconter quelque chose qui m’était arrivé.
Pourquoi réaliser une fiction après le documentaire que vous avez consacré à votre expérience rwandaise ?
Deux- trois ans après les événements, j’avais beaucoup de choses à dire, il fallait que ça sorte. Puis, les années passant, l’aspect thérapeutique n’a pas été le moteur principal. Ça n’aurait pas suffit à faire un film. J’ai en fait mené de front les deux projets sans penser qu’ils allaient tous les deux aboutir. Et c’est une bonne chose car ils sont très complémentaires. Le documentaire est beaucoup dans le discours, dans l’analyse politique, presque dans le règlement de compte. Il y a beaucoup de rage dans ce film, qui a sans doute permis de libérer la fiction. Cette fiction n’est pas un film sur le génocide au Rwanda mais un questionnement à partir de ça. Ce n’est pas un film sur le rôle de la France par exemple, mais une réflexion presque philosophique qui va plus loin que dans le documentaire. Un questionnement sur la façon dont on représente le monde et sur la nature humaine.
On vous a reproché de ne pas revenir sur les faits ?
Certains m’ont dit qu’ils auraient voulu en savoir plus. Mais Lignes de front n’est pas un film journalistique. Je ne raconte pas l’Histoire mais une histoire. Si ça donne envie à certains de se renseigner sur ce qui s’est passé avant, tant mieux. Mais les réactions des spectateurs sont assez différentes : il y a ceux qui attendent le côté documentaire, et ceux qui voient ce film comme la suite d’un trajet.
Dans le documentaire, il y avait l’idée d’aller retrouver des survivants, de leur apporter des images de l’époque… Avec la fiction, quel lien gardez-vous avec les Rwandais ?
Je suis allé faire une projection là-bas, j’ai suscité des débats qui étaient très forts. Il n’y pas de réponse binaire aux questions que je pose, l’important est que la parole circule. Pendant le tournage, il s’est passé des choses très fortes avec les figurants. Je ne leur ai surtout pas demandé s’ils étaient Hutu ou Tutsi, chacun a joué l’histoire car ils étaient heureux de voir que le film pouvait être un trait d’union entre eux et l’occident, même s’ils ont été oubliés à l’époque. Avec la reprise des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda, j’aimerais organiser davantage de projections-débats au Rwanda, que le film ait une vie là-bas. Mais c’est très complexe car on rentre dans des zones politiques et je ne sais pas jusqu’où Nicolas Sarkozy est prêt à aller.
L’esthétique du filme traduit une ambiance très pesante, une pression permanente. Quelle était l’idée principale que vous vouliez rendre ?
J’ai réfléchi à l’esthétique au sens d’un parti pris éthique. Au niveau des couleurs, de la lumière, j’ai essayé de retrouvé les sensations que j’avais eu en 1994. Je me souviens de ciels plombés, tout avait toujours l’air éteint, la vie était éteinte. Les couleurs sont aussi très terriennes, avec des tons d’ocre, mais passés, avec une espèce de mélancolie. Par exemple vers la fin du film, dans le camp de réfugiés, il y avait du soleil ce jour-là. Mais à l’étalonnage, Isabelle Laclos a réussi à éteindre le soleil : c’est du soleil sans soleil, on voit de l’ombre mais ça ne brille pas, c’est crépusculaire. On a beaucoup travaillé pour rendre cet aspect mélancolique, au sens psychanalytique du terme. C’était difficile car le pays a beaucoup changé, s’est modernisé, même les peintures ne sont plus les mêmes !
Comment s’est effectué le passage du reportage au documentaire pour le cinéma, puis à la fiction ?
C’est comme si le documentaire avait été un travail intermédiaire. La fiction part de choses très intimes, d’un propos précis qu’on essaie de coder pour qu’il rentre dans une histoire. Bizarrement, des flashs qui ne faisaient pas partie du propos initial ont surgi de ma mémoire, de façon non réfléchie, comme la scène de la machette. J’ai essayé de maîtriser ces flashs pour ne pas faire n’importe quoi mais ils apportent une justesse. La fiction est un peu comme le chemin inverse du documentaire. Dans le documentaire j’ai travaillé avec une matière préexistante alors que la fiction recrée de la matière. Ce qui est fabuleux dans la fiction c’est qu’elle permet l’utilisation du hors-champ ce que le documentaire autorise un peu mais le reportage pas du tout !
Qu’attendez-vous en termes de réception du film ?
Il faut que les spectateurs se laissent faire, et ce n’est pas évident, surtout sur des sujets pareils. En tout cas il y a une grande liberté dans cette fiction. Peut-être que je me suis permis certaines choses dans la fiction parce que j’ai fait le documentaire avant. Je m’attends à ce qu’on me demande si ce n’est pas un peu disproportionné de s’intéresser aux états d’âmes d’un journaliste par rapport à l’Histoire du génocide. Si c’était un travail journalistique, ça le serait, car il y a une hiérarchie des choses à respecter. Mais quelque part, j’ai déjà fait ce travail-là. Ça a libéré le potentiel « romanesque », la liberté de ton.
La réflexion sur le pouvoir et l’impuissance de l’image portée par le film devrait faire débat, notamment auprès des journalistes…
Je pense que ce n’est pas nécessairement le bon public, car ils travaillent sur des aspects trop rationnels, comme avec ce courant qu’on appelle le « docu-drama », qui se demande si la fiction peut mieux raconter une histoire que le journalisme ou le documentaire historique. C’est ce que fait un film comme La Rafle, qui se place dans cette espèce de courant entre le journalisme et la fiction, en se demandant si la fiction peut venir remplacer des images qui n’ont pas été faites. Ce n’est pas du tout ma démarche.
Y a-t-il une forme d’humilité dans le point de vue que vous adoptez ?
On peut aussi penser l’inverse. J’ai choisi ce point de vue car je ne vois pas comment en prendre un autre. Refaire Hôtel Rwanda (Terry George, 2005, ndlr), ce n’était pas le but. Je n’allais pas refaire la fresque historique, ça a déjà été fait. Peut-être qu’il y a quinze ans c’est ce que j’aurais voulu, mais ça a muri. Et puis il y a eu ma rencontre avec le milieu du cinéma et « Les Films du Poisson », qui m’a fait évoluer. Dans les premières versions du scénario, par exemple, il y avait beaucoup de dialogues, d’explications, alors que le discours dans une fiction ne passe pas toujours par la parole. Un exemple : au début du film, quand les miliciens au check-point crient « Vive la France ! », au départ il y avait une scène plus explicative. Finalement je me suis dit que le « Vive la France ! » suffisait, car on joue sur d’autres mécanismes, on ne s’adresse pas aux gens de la même manière pour leur faire ressentir des choses.
L’idée de ne pas montrer de massacres découle aussi de ce point de vue ?
Je ne voulais pas me placer dans la reconstitution. Il y a quelques scènes dans l’église mais on ne voit presque rien. Je suis très sensible au fameux argument de Rivette sur le travelling et à tout ce courant qui dénonce les risques de fétichisation par la représentation, les risques de rendre représentable ce qui ne l’est pas. Finalement, le fait de représenter « digère » les événements. Je ne voulais pas que mon film soit digeste, qu’il recycle l’histoire, et puis on ferme la porte et on passe à autre chose. Je voulais que ça reste une proposition de cinéma ouverte.
Propos recueillis par Sarah Elkaïm

Le documentaire:

Kigali, des images contre un massacre

réalisé par Jean-Christophe Klotz

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