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SITE INTERNET POUR LES DROITS DE L'HOMME
29 mai 2010

HOMELIE & EDITO : "ETRE ET AGIR"

Robert Campin (Maître de Flémalle), vers 1375-1380, 1444 .
Trinité, Trône de grâce.
Musée de l’Hermitage, St. Petersbourg. Russie.

"L’Esprit unifie l’œuvre du Père et du Fils. Le Père envoie le Fils ; le Fils révèle le Père ; et l’Esprit nous guide vers cette vérité toute entière. Là où est l’Unité de la Trinité, là est l’Esprit. Là où est l’Union à Dieu, là est l’Esprit." Père Christian Lancrey-Javal

l'homélie du curé

Etre et agir
La sainte Trinité
Dimanche 30 mai 2010
Jn 16, 12-15

par le Père Christian Lancrey Javal
curé de Saint-Louis d'Antin

Nous disons du Fils de Dieu, Notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il est l’Envoyé du Père, mais nous le disons un peu comme s’il s’était dévoué, comme s’il avait accepté sa mission à la manière d’un prophète : « Qui enverrai-je ? ». Vous connaissez ce passage sublime du livre d’Isaïe : « Alors j'entendis la voix du Seigneur qui disait : "Qui enverrai-je ? Qui ira pour nous ?" Et je dis : "Me voici, envoie-moi." » (Is 6, 8). Et on imagine ce que nous vivons tous les jours : « Qui est volontaire pour cette mission ? » - Tout le monde se planque jusqu’à ce qu’il y ait une bonne âme pour se dévouer, pour se sacrifier, et tous les autres respirent. Ouf.

Et s’il n’en était pas ainsi ?

Je veux dire : si cette mission du Fils n’était – je ne dis même pas une ‘corvée’ – si elle n’était pas une idée du Père réalisée par le Fils – et d’ailleurs comment cela pourrait-il être : comment pourrions-nous imaginer pareille dissociation au sein de la Trinité ? – mais si cette mission était essentielle au Fils, si c’était la nature même du Fils de réaliser l’œuvre du Père ?

Si nous considérions la Mission du Fils, son Incarnation, comme faisant partie de son être, de l’Etre même de Dieu ?

Les conséquences sont énormes.

D’abord sur notre vision de Dieu. La première conséquence est de nous donner à comprendre que la Création n’est pas un accident, mais que la Création fait partie de Dieu, de Dieu un et trine, puisqu’elle se rapporte aussi bien au Père, Créateur du ciel et de la terre, au Fils, « par qui tout a été créé » dit saint Paul, et à l’Esprit, Esprit Créateur, Creator spiritus.
La Création n’est pas une parenthèse dans l’éternité, pas plus que l’Incarnation n’est une condescendance au mauvais sens du terme, où Dieu s’impliquerait à contre-cœur, du bout des doigts. Mauvaise lecture du plafond de la Chapelle Sixtine. Dieu n’est pas comme nous : Dieu est tout entier dans chacun de ses actes. Dieu est tout entier dans l’hostie consacrée.

Dieu n’est pas comme nous. Il y a des moments dans notre vie à nous que nous serions tentés de tenir pour des parenthèses, des accidents, de jeunesse. Des moments à passer et à oublier. Dieu n’est pas ainsi : la Création n’est pas un accident. Dieu n’est pas ainsi, et en vérité nous ne devrions pas nous non plus agir de la sorte : aucune de nos journées ne devrait être une parenthèse dans notre vie. Imaginez que vous mouriez pendant une de ces parenthèses ? Le rapatriement (dans l’éternité bienheureuse, l’éternité de votre être véritable) serait compliqué.

Je vous invite à re-considérer votre vision de Dieu en acceptant qu’il n’ait pas créé le monde – comment dire ? pour « passer le temps » ( !), par désœuvrement, comme nous pouvons faire bien des choses, et bien des erreurs, mais qu’elle soit un engagement de tout son Etre.

On n’en devient pas panthéiste pour autant à voir du dieu partout, mais on en devient plus respectueux de la nature et de l’environnement, comme on est respectueux devant l’enfant d’un ami, la peinture réalisée par quelqu’un que j’aime, le plat qui m’a été préparé par celui qui me l’apporte. C’est Lui qui a fait ça. Qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé.

Si nous considérons la Mission du Fils comme faisant partie de son Etre, nous en tirons une deuxième série de conséquences sur les deux autres personnes de la Trinité, en particulier sur l’Etre du Père, la Paternité de Dieu, ce que nous appelons son « Autorité » puisqu’il est l’Origine, la Source, l’Auteur de toute vie. Le Pape Benoît XVI a parlé de cette Autorité suprême lors de son Audience générale jeudi dernier 26 mai, rappelant que « hiérarchie signifie origine sacrée, qui a son origine dans le sacré, dans le sacrement ».

Le Père est Celui qui envoie le Fils.

Nous imaginons parfois que le rôle du Père est de freiner, de fixer des limites : nous avons une vision réductrice de l’autorité, alors que son rôle est moteur, qui est de donner des objectifs, de confier une mission. Il envoie bien davantage qu’il ne retient. Et quand il retient, en vérité il protège. Mais tôt ou tard, il laisse partir, il « envoie », par amour et pour aimer.

Voilà pourquoi le sommet de l’Evangile est « le commandement de l’amour », expression paradoxale puisque l’amour ne se commande pas, mais expression relative au rôle du Père, qui est à la fois l’autorité qui commande et l’amour qui libère. Le Père est Celui qui envoie. Une belle hymne du Bréviaire, « Peuples criez de joie – et bondissez d’allégresse », nous fait chanter : « Le Père envoie le Fils manifester sa tendresse ».

Toute créature a besoin des deux : nous avons tous besoin d’une autorité de régulation, qui fixe un cadre, des contraintes, des règles, mais qui ne régule que pour autant qu’elle suscite, motive, encourage. Nous en avons besoin parce que cette autorité nous fixe une mission à remplir, des objectifs à atteindre.

Dans la nature, toutes les créatures autres qu’humaines reçoivent également des directives, mais sans la liberté ni l’amour. Les animaux sont-ils intelligents ? Voilà une question bien humaine ! L’intelligence animale est évidente et remarquable, à ceci près qu’elle ne connaît ni la liberté ni l’amour. La marche à suivre est inscrite génétiquement dans l’organisme animal, sans qu’il ait la liberté d’y déroger, de l’interpréter, de se l’approprier. L’animal obéit à son instinct. Et le lion mange le dompteur. « Enfin ?! tu ne l’aimais pas ton maître ? – trop bon ».

Quand nous disons que Dieu a créé l’homme libre et intelligent, le mot important est ‘libre’. Dieu a créé la créature animale codifiée et intelligente, pré-déterminée à l’Univers. Un plan vivant, en pleine évolution, en complexité croissante … Nous retrouvons chez l’homme des traces de cette codification, comme des séquelles de l’instinct animal. Mais l’homme a reçu la liberté de participer au Plan de Dieu. Voilà le souffle qui lui est donné, insufflé : l’esprit de liberté.

Et la mission du Fils est de nous révéler ‘de l’intérieur’ ce que signifie être libre et aimer. Pour que nous entrions à notre tour dans la Communion d’amour de la Trinité, et que nous adhérions et répondions librement à l’œuvre d’amour du Père. Jésus en parle en termes simples : Si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera.

Vous pourriez relire de façon détaillée l’emploi du mot « œuvre » dans l’évangile de saint Jean, voir comment le Christ dit : "Mon Père est à l'oeuvre jusqu'à présent et j'oeuvre moi aussi" (Jn 5, 17). Cela permet de comprendre le rôle de l’Esprit-Saint, son rôle unificateur : l’Esprit unifie l’œuvre du Père et du Fils. Le Père envoie le Fils ; le Fils révèle le Père ; et l’Esprit nous guide vers cette vérité toute entière. Là où est l’Unité de la Trinité, là est l’Esprit. Là où est l’Union à Dieu, là est l’Esprit.

J’en viens à une troisième série de conséquences sur notre compréhension du lien entre être et agir : être, c’est mettre en acte. Souvent nous parlons de nos activités comme de quelque chose d’extérieur, d’extrinsèque, de secondaire au mauvais sens du mot : dont on pourrait faire l’économie. Alors que l’agir est la marque du vivant. Dieu crée parce que Dieu est la Vie. Et l’éternité est et sera créatrice. Vivante ! Pas ce repos éternel et passif des cimetières silencieux … Mais bien le chant éternel et mélodieux de louange à la Gloire du Père !

On entend ainsi de fausses séparations entre l’être et l’agir, par exemple pour les religieux ou les sages qui auraient choisi la meilleure part : celle de l’être. Mais les religieux ne sont pas dans un être abstrait : ils prient ! C’est une activité intense. Simplement, ils cherchent à faire ce qu’ils sont. Un ami prêtre militait pour ce qu’il appelait la contempl-action. On pourrait aussi parler de la pri-être. Par la prière, nous apprenons à être. Enfants de Dieu.

Si la Mission du Christ fait partie de son Etre, si Dieu est présent en chacun des ses actes, il devrait en être de même pour chacun de nous : nous devrions nous trouver dans ce que nous faisons, et non pas nous y perdre. Cela suppose que nous acceptions de recevoir de Dieu notre identité et notre mission.

A ses disciples qui sont allés lui chercher à manger, Jésus répond : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et de mener son oeuvre à bonne fin » (Jn 4, 34). Voilà ce que nous recevons dans l’Eucharistie : notre mission. L’Eglise, qui agit au nom du Christ, est en effet la seule ‘institution’ humaine à confier à chacun, à chaque personne humaine, même aux plus vieux, aux plus pauvres, aux plus faibles, une mission, au minimum une mission de prière, une mission d’amour - sans craindre, faut-il ajouter, d’empiéter sur sa liberté. Nous disons à chacun : Dieu t’a confié un talent, il t’a donné la vie, la volonté et l’être, pour entrer dans son Amour, dans la communion d’Amour et le mystère de la Trinité. Tu ne comprends pas le mystère de la Trinité ? Entre, entre dans le mystère de l’Amour.

L’image familiale du père, de la mère et de l’enfant, pour représenter la Trinité, est juste si elle désigne ma relation aux trois, au fait que ma relation à chacun d’eux, à chacun des trois, conditionne ma relation aux deux autres, dans une relation parfaite d’amour : si j’aime l’un, j’aime les deux autres, au nom de l’amour qui les relie tous les trois. Je ne peux avoir de relation sincère et véritable avec l’un qui n’engage la même relation avec les deux autres. C’est bien le Christ qui nous a appris à prier Notre Père. Comme c’est l’Esprit qui fait de nous des fils. La nouveauté de ce mystère est radicale ; elle est également permanente.

Père Christian Lancrey Javal
curé de Saint-Louis d'Antin

trinit_Retable de Landauer d'Albrecht Dürer,
représentant une Adoration de la Sainte Trinité, 1511
Lecture du Livre des Proverbes 8, 22-31

Écoutez ce que déclare la Sagesse : « Le Seigneur m'a faite pour lui au commencement de son action, avant ses œuvres les plus anciennes. Avant les siècles j'ai été fondée, dès le commencement, avant l'apparition de la terre. Quand les abîmes n'existaient pas encore, qu'il n'y avait pas encore les sources jaillissantes, je fus enfantée. Avant que les montagnes ne soient fixées, avant les collines, je fus enfantée. Alors que Dieu n'avait fait ni la terre, ni les champs, ni l'argile primitive du monde, lorsqu'il affermissait les cieux, j'étais là. Lorsqu'il traçait l'horizon à la surface de l'abîme, chargeait de puissance les nuages dans les hauteurs et maîtrisait les sources de l'abîme ; lorsqu'il imposait à la mer ses limites, pour que les eaux n'en franchissent pas les rivages, lorsqu'il établissait les fondements de la terre, j'étais à ses côtés comme un maître d’œuvre. J'y trouvais mes délices jour après jour, jouant devant lui à tout instant, jouant sur toute la terre, et trouvant mes délices avec les fils des hommes. »

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 16, 12-15

À l'heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples : « J'aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l'instant vous n'avez pas la force de les porter. Quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière.
En effet, ce qu'il dira ne viendra pas de lui-même : il redira tout ce qu'il aura entendu, et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Il me glorifiera, car il reprendra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. Tout ce qui appartient au Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : il reprend ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »

Robert Campin (Maître de Flémalle), vers 1375-1380, 1444 .
Trinité, Trône de grâce.
Musée de l’Hermitage, St. Petersbourg. Russie."Détail"

édito
du Dimanche 30 mai 2010

La sainte Trinité
Année C

Suscipe, sancta Trinitas …

Nos frères juifs appellent le sacrifice d’Abraham (Gn 22), la ligature d’Isaac. Je me souviens de l’émotion d’un ami juif quand j’avais repris ce nom. L’Eglise a fait un pas plus important, l’an dernier, par la décision de ne plus utiliser le mot Yahvé pour l’imprononçable. Ce sont de beaux signes fraternels. Néanmoins le « sacrifice d’Abraham » a l’avantage de replacer le sacrifice du Christ comme un don du Père : « Il a tant aimé le monde – qu’il a donné son Fils unique ».

Le Canon romain mentionne le sacrifice de notre Père Abraham, avec deux autres types de sacrifice de l’Ancien Testament, d’Abel et de Melchisédech : Abel est un enfant et Melchisédech un personnage mystérieux qui apparaît au livre de la Genèse, apportant du pain et du vin. La Lettre aux Hébreux dit qu’il est « sans père, sans mère, sans généalogie, dont les jours n'ont pas de commencement et dont la vie n'a pas de fin »
(cf. He 6, 20 – 7, 3).

On peut assimiler Melchisédech au Fils de Dieu, mais aussi reconnaître en lui une figure de l’Esprit-Saint : « Sans père, sans mère, sans généalogie, dont les jours n'ont pas de commencement et la vie pas de fin », c’est bien le fait du souffle de l’Esprit, dont tu ne sais pas d’où il vient ni où il va
(cf. Jn 3, 8).

L’intérêt est de voir dans les trois figures d’Abel, Abraham et Melchisédech, une image trinitaire, du Fils, du Père et de l’Esprit, rappelant que le sacrifice pascal n’est ni seulement un don du Fils ni seulement un don du Père, mais le don de la Trinité toute entière.

La forme extraordinaire de la Messe comporte une prière à la Trinité sainte au moment de l’Offertoire, le Suscipe, sancta Trinitas : « Recevez, Trinité Sainte, cette Offrande, que nous Vous présentons en mémoire de la Passion, de la Résurrection et de l'Ascension de Jésus-Christ notre Seigneur » - qu’elle serve à l’honneur et au salut des hommes, « et que les Saints dont nous faisons mémoire sur la terre daignent intercéder pour nous dans les cieux ».

Père Christian Lancrey-Javal, Curé

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